Après l’abandon de Notre-Dame-des-Landes, toujours trop d’aéroports …
Peut-on se dire écolo tout en s’envolant pour le week-end à Porto ? L’avion sème la zizanie. D’un côté, ceux qui connaissent les chiffres et commencent sérieusement à s’interroger. De l’autre, ceux qui ne veulent surtout ne rien savoir de peur d’objectiver ce qu’ils pressentent : tous ces efforts louables pour acheter en vrac ou cuisiner les légumes du panier de l’Amap n’auront rimé à rien s’ils prennent la direction de l’aéroport.
Quarante fois plus polluant que le train
Ne me dites pas… Qu’un aller-retour Paris-New York envoie plus d’une tonne de gaz carbonique dans l’atmosphère par passager, soit autant qu’une année de chauffage et le cinquième des émissions annuelles d’un Français. Que tout trajet national ou européen en avion pollue quarante fois plus que le TGV, sept fois plus que le bus, deux fois plus qu’une voiture avec trois passagers. Que le secteur aérien est responsable d’au moins 5% de la contribution humaine aux changements climatiques. Soit deux fois plus qu’un pays comme la France. Certains prédisent que le trafic aérien, qui a doublé au cours des 20 dernières années (quatre milliards de passagers en 2018), pourrait à nouveau doubler d’ici 2036… En Europe, les émissions de gaz à effet de serre de l’aérien ont augmenté de plus de 25% entre 2013 et 2018. 20% des émissions de gaz à effet de serre de l’aérien français sont dus aux vols domestiques alors que les dix aéroports français les plus fréquentés sont situés dans des agglomérations desservies par des trains à grande vitesse ! Ce constat souligne l’urgence à favoriser des modes de déplacement alternatifs à l’avion et à aller vers une fin des lignes aériennes pour lesquelles une alternative ferroviaire existe. Les progrès technologiques qui sont espérés dans le secteur aérien ne suffiront absolument pas à absorber l’explosion de ses émissions de gaz à effet de serre.
En mars 2019, une lettre ouverte aux responsables politiques locaux signée de nombreuses organisations environnementales, syndicales et politiques demande l’arrêt de tout soutien au low-cost à Dole-Tavaux. Le 5 juillet 2019 les conseillers départementaux ont désigné la société EDEIS comme délégataire du service public en charge de la gestion et de l’exploitation de l’Aéroport Dole-Jura pour 8 ans à compter du 1er janvier 2020.
La puissance publique montre hélas le mauvais exemple
Si le gouvernement a abandonné le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, les pouvoirs publics continuent de subventionner près d’une centaine d’aéroports à travers le territoire national, des équipements coûteux à l’utilité contestable. État et collectivités territoriales ne lésinent pas sur les moyens : la totalité des aides publiques au transport aérien représenterait 500 millions d’euros par an, dont 300 millions d’euros d’exemption de taxe sur le kérosène et environ 100 millions d’euros sous forme de subvention de fonctionnement pour renflouer les petits aéroports. En dessous de 800 000 passagers par an, l’équilibre économique est illusoire en raison des coûts fixes et des recettes limitées. Maintenir les infrastructures, entretenir les pistes, assurer les contrôles et la sécurité, tout cela coûte cher. Mais le soutien aux compagnies low-cost bien plus encore : lorsque la fréquentation augmente, les recettes croissent moins vite que les dépenses ! Avec l’argent du contribuable, le Conseil Départemental du Jura finance l’aviation, le mode de transport le plus polluant au monde, ignorant l’urgence climatique. Quelques 25 millions d’euros se sont ainsi envolés ces dix dernières années … L’aérogare bénéficie également de subsides alloués par le Conseil Régional de Bourgogne Franche-Comté (240 000 € en 2019) et l’agglomération du Grand Dole (150 000 € en 2019). Sans ces aides publiques, l’aéroport ne tiendrait pas longtemps. Dommage que cet argent ne serve à maintenir des petites lignes ferroviaires et à développer les transports en commun… La gestion de Dole-Jura jette une lumière crue sur les travers du transport aérien en France : gaspillage d’argent public pour maintenir un équipement structurellement déficitaire, compétition stérile entre territoires au seul profit d’opérateurs privés, avantages commerciaux pour attirer des compagnies low cost condamnées à de nombreuses reprises, financement public d’un secteur climaticide déjà fortement subventionné par ailleurs…
Il y a beaucoup trop d’aéroports en France
L’augmentation du trafic aérien bénéficie en France à moins d’une dizaine de gros aéroports qui dépassent les 2 millions de passagers annuels. Hors Paris, il s’agit des quelques établissements situés dans les grandes métropoles régionales : Marseille, Lyon, Bordeaux. En bonne santé économique, ces mastodontes ont d’ailleurs été pour la plupart privatisés : Toulouse en 2015, Nice et Lyon en 2016. Actionnaire à 50,6 % du groupe Aéroports de Paris, l’État souhaiterait également vendre ses parts cette année au plus offrant.
Les 76 plateformes restantes se partagent donc 10 % du trafic. C’est beaucoup trop. Il y a trop d’aéroports en France, notamment de très petits, qui font moins de 50.000 passagers annuels. La France est en effet le premier pays européen en nombre d’aérodromes par habitant. Né de l’histoire militaire — la nécessité en 1945 de relier les villes à la capitale par avion, car les routes et chemins de fer avaient été détruits — puis de « la volonté bâtisseuse de l’État en vertu de l’égalité des territoires » dans les années 1960 et 1970, ce maillage aéroportuaire extrêmement dense conduit aujourd’hui à des situations absurdes. C’est le cas de l’aéroport de Dole-Tavaux situé à moins de 2 heures de ceux de Lyon, de Bâle-Mulhouse ou encore de Genève en voiture … ou même de Paris en TGV ! Idem pour Saint-Etienne ou encore Grenoble-Alpes-Isère qui se situe à moins de 70 km de Lyon-Saint-Exupéry et de Chambéry-Alpes. La Normandie ne compte pas moins de cinq plateformes. Aux environs de Montpellier, Nîmes, Béziers, Avignon et Carcassonne se disputent les faveurs des compagnies aériennes. Et que dire de la Dordogne, qui entretient deux installations, à Périgueux et à Bergerac ?« En France, les quelques gros aéroports qui dépassent les 2 millions de passagers annuels concentrent 90 % du trafic »
Agir pour le climat !
Si elle veut faire sa part et atteindre la neutralité carbone, la France doit mettre en place une fiscalité au service de la lutte climatique, et mettre fin aux avantages accordés au secteur aérien. Une solution d’autant plus juste que le secteur aérien est aujourd’hui avantagé par rapport aux autres secteurs des transports. Le financement des aéroports sur fonds publics devrait être l’exception, et non la règle. En 2014, Bruxelles a annoncé la fin de toutes les subventions publiques de fonctionnement aux aéroports, afin d’éviter les distorsions de concurrence. Cependant, la Commission européenne a laissé dix ans au secteur pour s’adapter et elle a demandé aux propriétaires de plateformes de produire un plan de financement anticipant cette disparition des aides publiques à l’horizon 2024. C’est enfin une question de cohérence des politiques publiques : nos collectivités territoriales annoncent vouloir réduire significativement leurs émissions de gaz à effet de serre, les effets de ces plans de réduction ne doivent pas être anéantis par l’augmentation d’émissions dues au soutien au transport aérien !
Par Pascal Blain, président de Serre Vivante
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